Durant les années 1960, les juges de touche des rencontres de Division 1 sont des arbitres de niveau régional. Les hommes au drapeau évoluent avec un directeur de jeu différent chaque semaine. Ce fonctionnement évolue progressivement durant les années 1970, les juges de touche étant progressivement associés à des arbitres centraux. À partir de 1971, dans chaque région où il est appelé à opérer, un arbitre a toujours le même duo de juges de touche régionaux pour l’assister. Le groupement de trois arbitres habitués à officier ensemble permet, dans ce cadre, de créer une complicité entre le directeur de jeu et ses deux collègues. L’Alsacien Pierre Schwinté défend, au sein de la Commission Centrale des Arbitres, l’idée de créer des trios d’arbitres à l’échelle nationale, qui effectueraient l’intégralité de leurs rencontres ensemble.

Soutenu par le Groupement du Football Professionnel, Pierre Schwinté réussit donc à faire naître les trios d’arbitres dès 1974. Dans ce cadre, chaque arbitre de D1 est amené à désigner un duo de juges de touche de sa Ligue, qui sont appelés à le suivre sur un rayon de 750 km. Un deuxième tandem est également mis en place pour le rayon supérieur à 750 km. En 1975, la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, ayant lieu au Parc des Princes à Paris, est arbitrée par un trio d’arbitres du Sud-Est, constitué pour l’occasion. Michel Kitabdjian, arbitre central, est en effet accompagné de ses collègues Robert Héliès et René Vigliani. Ces trois arbitres, rivaux parce qu’étant tous les trois « internationaux », se retrouvent à devoir collaborer pour une rencontre de la plus grande importance. Néanmoins, les tensions présentes au sein du trio se répercutent sur la rencontre en question. Suite à une mauvaise compréhension entre Michel Kitabdjian et Robert Héliès, un but est refusé à Leeds pour un potentiel hors-jeu.

Après cette finale tumultueuse, Raymond Eymery, jusqu’ici contre les trios d’arbitres stables, est écarté de la présidence de la CCA par la Fédération Française de Football. Cette finale fait valoir la nécessité de spécialiser les juges de touche, notamment pour empêcher les rivalités entre arbitres ayant le même statut. En 1976, des trios d’arbitres sont mis en place, sur l’ensemble du territoire national, lors des rencontres comptant pour le championnat de France de Première Division et pour la Coupe de France. La même année, un corps spécifique de juges de touche est créé au sein de la Fédération. Ce corps, désormais soumis à des évaluations, est divisé en trois catégories : juge de touche « fédéral », juge de touche « interrégional » et juge de touche possédant le titre d’arbitre « de Ligue ». Les arbitres de la Fédération en fin de carrière - ou n’arrivant pas à gravir les échelons - sont orientés vers cette fonction spécifique. Une sélection plus importante semble dès lors s’opérer, même si de nombreux juges de touche opérant en D1 sont encore des arbitres de Ligue. En 1976, sur les 57 juges de touche répertoriés dans le corps nouvellement créé, 37 sont encore des arbitres de Ligue.

Néanmoins, ces derniers sont désormais formés plus régulièrement. À partir de 1974, les juges de touche appelés à officier en Première ou en Deuxième Division participent à des stages qui mêlent théorie et pratique. Sur le terrain, les pratiques des juges de touche évoluent également. Jusqu’en 1970, il leur est demandé de se porter à la hauteur « du premier attaquant », c’est-à-dire de l’attaquant le plus avancé. À partir de 1971, la CCA décide de s’aligner sur la décision de la FIFA, déjà appliquée dans un grand nombre de pays, recommandant aux juges de touche de se tenir à la hauteur de l’avant-dernier défenseur. Néanmoins, si celui-ci est devancé par un ou plusieurs adversaires, le juge de touche doit revenir à la hauteur de l’attaquant le plus avancé. En parallèle, la CCA fait appliquer à ses juges de touche le Memorandum on signals de la FIFA, paru en 1974, qui précise les gestes à employer pour être compris de tous. La spécialisation des juges de touche est en marche.

Pierre Schwinté et ses deux juges lors de la finale de la Coupe de France 1963

Michel Kitabdjian au centre et Robert Héliès à gauche lors de la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions 1975

 

Alexandre Joly est un historien du sport. Il a soutenu une thèse en 2021 portant sur l’histoire des arbitres dans le football professionnel français durant le XXe siècle.